Garantie rurale, définition des projets d’envergure nationale et européenne, nouveau droit de préemption urbain…La loi n°2023-630 « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux », promulguée le 20 juillet 2023 a été adoptée par le Sénat le 16 mars puis par l’Assemblée nationale le 27 juin. Le texte, à l’origine une proposition de loi sénatoriale, compte désormais neuf articles, répartis en 4 chapitres, après son examen en commission mixte paritaire le 6 juillet.
Chapitre 1er : favoriser le dialogue territorial et renforcer la gouvernance décentralisée
Délais de mise en compatibilité des documents d’urbanisme (art. 1er). Le texte allonge les délais pour mettre en compatibilité les schémas régionaux d’aménagement avec les objectifs de zéro artificialisation nette. D’abord fixé par le Sénat à 42 mois, puis à 36 par l’Assemblée, le délai de modification des Sraddet, du Padduc, des SAR et du Sdrif a été fixé à 39 mois en commission mixte paritaire, soit neuf de plus que le délai en vigueur jusque-là, repoussant la date limite au 22 novembre 2024.
De même, le premier article donne six mois de plus aux schémas de cohérence territoriale pour être modifiés en intégrant les objectifs de zéro artificialisation nette (soit jusqu’au 22 février 2027). Les PLU et les cartes communales bénéficient également d’une rallonge de six mois, ce qui porte leur mise en compatibilité au 22 février 2028.
Une disposition propre à la Corse est également insérée, interdisant toute extension urbaine « dans toute commune qui n’est pas couverte par un plan local d’urbanisme, un document en tenant lieu ou une carte communale ».
Conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation (art. 2). Une nouvelle instance est créée : la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation, qui doit, à terme, remplacer les conférences de Scot, abrogées par ce même article. La composition de ces nouvelles conférences a été largement modifiée au cours de l’examen, avant que la commission mixte paritaire ne retienne une formule plutôt allégée. Seul le conseil régional, sur délibération, décide de la composition et du nombre de ses membres, avec avis conforme de la majorité des organismes délibérants des EPCI à fiscalité propre compétents en matière de plan local d’urbanisme. La composition de cette conférence doit cependant assurer une « représentation équilibrée des territoires urbains, ruraux, de montagne et du littoral ».
À l’initiative de la région, la conférence régionale doit également se réunir au moins une fois par an pour « établir un bilan de la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation » mais peut aussi évoquer « tout sujet lié à la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols ». Elle doit être consultée dans le cadre de la qualification des projets d’envergure nationale ou européenne.
Bilan de la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation (art. 2). Celui-ci doit comprendre des « éléments permettant d’apprécier les modalités et les critères de territorialisation des objectifs de réduction de l’artificialisation retenus au niveau régional », « des éléments relatifs aux objectifs de réduction de l’artificialisation des sols fixés par les schémas de cohérence territoriale, par les plans locaux d’urbanisme et par les cartes communales du périmètre régional, permettant d’apprécier la cohérence globale de ces objectifs au regard des objectifs retenus au niveau régional », « des éléments relatifs à l’artificialisation des sols constatée depuis le début de la tranche de dix années prévue pour les documents de planification régionale » et enfin des « propositions d’évolution des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols fixés par la loi et par les documents de planification en vue de la prochaine tranche de dix années » pour atteindre le zéro artificialisation nette.
Chapitre 2 : accompagner les projets structurants de demain
Projets d’envergure nationale et européenne (art. 3). Cet article définit les projets d’envergure nationale ou européenne, un sujet particulièrement débattu au Parlement. Il s’agit donc des projets qui, « en raison de leur nature et de leur importance », sont déclarés d’utilité publique par décret en Conseil d’État ou par arrêté ministériel. « Pour les infrastructures fluviales, sont concernés les travaux ou les opérations qui sont réalisés sur le domaine public de l’État ou de ses opérateurs ». Les travaux de construction de lignes à grande vitesse « et leurs débranchements », les « projets industriels d’intérêt majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique ainsi que ceux qui participent directement aux chaînes de valeur des activités dans les secteurs des technologies favorables au développement durable » sont également intégrés à cette liste, tout comme les opérations intéressant la défense et la sécurité nationale, celles réalisées par un grand port maritime ou fluvio-maritime (ainsi que par le port de Strasbourg), celles concernant la construction d’établissements pénitentiaires, toutes celles réalisées par l’État à l’intérieur d’une Opération d’Intérêt National (OIN) ainsi que la construction de réacteurs électronucléaires et les postes de transformation électriques qui y sont liés.
Le texte dispose également que le ministre chargé de l’aménagement doit rédiger un arrêté recensant ces projets dont la surface artificialisée est décomptée au niveau national. Une enveloppe de 12 500 hectares est réservée pour ces projets pour l’ensemble du pays, « dont 10 000 ha sont mutualisés entre les régions couvertes par un Sraddet ». Les 2 500 ha restant sont à partager entre l’Île-de-France, la Corse et les collectivités d’outre-mer, qui disposent de documents spécifiques.
La commission mixte paritaire a enfin créé la possibilité, en cas de désaccord entre le ministère et les régions sur la définition d’un projet d’envergure nationale ou européenne, de recourir à une commission de conciliation sur l’artificialisation des sols. Celle-ci est composée, à parts égales, de représentants de l’État et de la région concernée.
Chapitre 3 : mieux prendre en compte les spécificités des territoires
Garantie rurale (art. 4). La garantie de développement pour les plus petites communes faisait partie des points forts de la proposition de loi sénatoriale. Rapidement surnommée « garantie rurale », cette disposition prévoit qu' »une commune qui est couverte par un plan local d’urbanisme, par un document en tenant lieu ou par une carte communale prescrit, arrêté ou approuvé avant le 22 août 2026 ne peut être privée, par l’effet de la déclinaison territoriale des objectifs mentionnés au présent article, d’une surface minimale de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers », soit une surface d’un hectare pour la première tranche décennale 2021-2031 définie par la loi climat et résilience.
Les députés ont également ajouté la possibilité de mutualiser cette surface à l’échelle intercommunale, « à la demande du maire », ainsi qu’une disposition indiquant que cette garantie ne dispensait pas les communes ne disposant que d’une carte communale de se doter au plus tôt d’un plan local d’urbanisme, comme les y oblige la loi Alur adoptée en 2014. Autre ajout des députés : l’obligation pour la conférence régionale de gouvernance de l’artificialisation créée à l’article 2 de réaliser un bilan de l’application de cette garantie rurale, « au plus tard le 1er janvier 2031 ».
Mesures propres aux communes soumises à l’érosion (art. 5). Un nouvel article est inséré au sein du code de l’environnement disposant que « pour la fixation des objectifs chiffrés de lutte contre l’artificialisation des sols dans les documents de planification régionale et d’urbanisme, il est tenu compte des enjeux d’adaptation et de recomposition spatiale du territoire des communes figurant sur la liste mentionnée à l’article L.321-15 », c’est-à-dire les communes dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral. Cet article précise également que les surfaces artificialisées situées dans une zone exposée au recul du trait de côte peuvent être considérées comme désartificialisées, dès lors qu’elles ont vocation à être renaturées « dans le cadre d’un projet de recomposition spatiale du littoral ».
Chapitre 4: prévoir les outils pour faciliter la transition vers l’absence de toute artificialisation nette des sols
Droit de préemption et renaturation (art. 6 et 7). L’article 6 crée un droit de préemption urbain que les communes ou les autorités compétentes peuvent mettre en place dans des « secteurs prioritaires à mobiliser qui présentent un potentiel foncier majeur pour favoriser l’atteinte des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols ». La loi prévoit que ces secteurs peuvent être « des terrains contribuant à la préservation ou à la restauration de la nature en ville », « des zones présentant un fort potentiel en matière de renaturation, en particulier dans le cadre de la préservation ou de la restauration des continuités écologiques », ou encore « des terrains susceptibles de contribuer au renouvellement urbain, à l’optimisation de la densité des espaces urbanisés ou à la réhabilitation des friches ».
Le texte crée également la possibilité, pour une commune, de surseoir à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme entraînant une consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers « qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de réduction de cette consommation susceptibles d’être fixés par le document d’urbanisme en cours d’élaboration » durant la période 2021-2031. Un outil mis à disposition des maires pour éviter de voir des « coups partis » qui entameraient leur potentiel d’artificialisation.
L’article 7, quant à lui, précise que les espaces renaturés au cours de la période 2021-2031 sont bien comptabilisés en déduction de la consommation d’espaces naturels.
Bilan de l’artificialisation (art. 8). La loi modifie les évaluations quinquennales relatives à l’évaluation de l’artificialisation des sols introduites par l’article 207 de la loi climat et résilience. Elle précise notamment que ces évaluations doivent dresser un bilan de la présente loi et, en particulier, de la garantie rurale introduite par l’article 4. Cette évaluation doit également porter sur « la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers occasionnés par les projets d’envergure nationale ou européenne ». Enfin, elle doit examiner « les incidences du régime de limitation de l’artificialisation sur la production de logements, notamment de logements sociaux, et sur la réalisation des projets concourant à la transition écologique ou au développement économique des territoires.
Fiscalité (art. 9). « Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à la fiscalité comme outil de lutte contre l’artificialisation des sols. » Ce rapport devra présenter l’ensemble des outils fiscaux incitant à l’artificialisation des sols, et, au contraire, ceux qui pourraient être mobilisés pour inciter à ne pas artificialiser les sols ou à renaturer les espaces artificialisés.
Avec l’AEF