Entre le 1er janvier et le 30 juin 2022, la France présidera le Conseil de l’Union européenne (UE), ouvrant le trio de présidences qu’elle forme avec la République tchèque et la Suède. S’il s’agira de la treizième présidence française du Conseil, celle-ci sera la première depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, la dernière datant de 2008.

La mission principale d’une présidence tournante est de planifier et de présider les réunions du Conseil de l’UE. Le Conseil de l’UE est l’institution qui réunit les ministres des 27 États membres par grandes politiques européennes et qui possède un pouvoir d’amendement et d’approbation des projets législatifs européens, en codécision avec le Parlement européen. Le Conseil de l’UE ne doit pas être confondu avec le Conseil européen qui réunit les chefs d’État et de gouvernement des États membres. Le Conseil européen définit les orientations et les priorités politiques générales de l’Union européenne. Son président actuel est Charles MICHEL.

La présidence tournante anime également les comités des représentants permanents (Coreper), composés des ambassadeurs auprès de l’UE et chargés de préparer les travaux des réunions du Conseil et donc, de dégager, à son niveau, un accord qui sera par la suite soumis au Conseil pour adoption. Les Coreper font ainsi le lien entre les niveaux technique et politique dans la prise de décision du Conseil de l’UE.

Le pays occupant la présidence tournante du Conseil représente également ce dernier dans le cadre des trilogues, négociations interinstitutionnelles informelles qui ont lieu avec le Parlement européen et la Commission afin de trouver un compromis sur les propositions législatives européennes.

Enfin, le Conseil de l’UE adopte des recommandations non contraignantes, conclut les accords internationaux de l’Union et nomme les membres de certaines institutions (Cour des comptes, Comité économique et social européen, Comité des régions).

Le pouvoir d’une présidence tournante réside donc dans sa capacité à pousser les sujets auxquels elle tient au premier plan de l’agenda européen, aussi bien par des procédés formels qu’informels. Pour cela, il est nécessaire d’établir un certain nombre de chantiers prioritaires auxquels se consacrer lors des six mois que dure une présidence, mais également de posséder une administration et un appareil diplomatique capables de collaborer efficacement avec les services européens.

« Relance, puissance, appartenance » sont les trois mots qui constituent la devise de la présidence française de l’Union européenne, selon la communication en Conseil des ministres du 4 novembre 20203 – premier document officiel de cette PFUE.

Le président de la République a explicité ces maitres-mots lors de sa conférence de presse du 9 décembre 2021 :

    • La relance et le renforcement économique pour permettre à l’Europe de réussir les transitions écologique et numérique ;
    • La puissance pour défendre et promouvoir nos valeurs et nos intérêts ;
    • L’appartenance pour construire et développer un imaginaire européen commun.

Le président de la République, dans sa conférence de presse du 9 décembre 2021 à l’Élysée visant à présenter les priorités de la PFUE, a traduit ces trois grands thèmes par la mise en avant de trois grands axes : la mise en place d’une Europe plus souveraine ; la création d’un nouveau modèle européen de croissance ; La promotion d’une Europe humaine.

Le président a également identifié trois chantiers législatifs emblématiques qui seront des priorités de la PFUE :

  • la régulation et la responsabilisation des plateformes numériques ;
  • L’instauration d’un prix carbone aux frontières de l’UE sur les produits importés ;
  • L’adoption d’une législation européenne sur les salaires minimum.

Environ 400 événements devraient être organisés en France métropolitaine et en Outre-Mer. Parmi ceux-ci, 20 réunions ministérielles informelles et 70 conférences ministérielles thématiques seront organisées.

Plusieurs étapes marquantes ont été esquissées par le président de la République :

– Le 6 et 7 janvier : accueil des commissaires européens à Paris
– Le 19 janvier : Discours de présentation des priorités de la PFUE devant le Parlement européen
– Le 11 février : le sommet « Un Océan » à Brest
– Le 17 et 18 février : Sommet des dirigeants de l’UE et de l’Union Africaine à Bruxelles
– Le 10 et 11 mars : Sommet en France des 27 chefs d’État et de gouvernement sur le « nouveau modèle européen de croissance et d’investissement »
– Le 24 et 25 mars : Conseil européen à Bruxelles
– Mai : Clôture de la Conférence sur l’Avenir de l’Europe
– Juin : Conférence sur les Balkans occidentaux

La protection des frontières de l’UE

La France entend initier sous sa présidence une réforme de l’espace Schengen afin d’améliorer la protection des frontières extérieures de l’UE et la gestion de sa politique migratoire. Cette réforme s’articulera autour de deux priorités :

  • La mise en place d’un pilotage politique de Schengen, à travers des réunions régulières des ministres en charge de ces questions afin d’établir une politique cohérente de maitrise des frontières extérieures de l’UE. Le président l’a qualifié de « condition préalable à la libre circulation au sein de Schengen ». De nouveaux textes européens seront bientôt publiés dans cette perspective.
  • La création d’un mécanisme de soutien d’urgence aux frontières en cas de crise afin qu’un État membre dans le besoin puisse compter sur l’appui de FRONTEX mais également le renfort solidaire des autres États.La France souhaite également faire avancer le paquet migratoire européen (une meilleure organisation de l’UE en termes de gestion des migrations). Notamment via :
    • Le travail avec les pays d’origine et les pays de transit pour lutter contre les trafics et éviter ces flux ;
    • La protection des frontières extérieures ;
    • L’harmonisation des règles, notamment en matière d’asile ou d’accompagnement desréfugiés et des migrants sur le sol européen ;
    • L’harmonisation de la gestion des flux secondaires

La politique de défense européenne

Plusieurs avancées dans ce domaine ont été réalisées, notamment à l’initiative de la France : le Fonds européen de défense, l’initiative européenne d’intervention, les programmes communs franco- allemands en matière d’armements associant aussi d’autres États membres.La France voit la PFUE comme l’occasion d’entrer dans une phase plus opérationnelle, en définissant des intérêts communs et des stratégies partagées. Cela sera notamment rendu possible par l’adoption, lors du Conseil européen de mars 2022, de « la boussole stratégique » de l’UE, livre blanc européen de défense et de sécurité, qui permettra l’avènement d’une véritable « souveraineté stratégique européenne » à travers une analyse commune des menaces envers l’UE et l’affirmation d’orientations et d’ambitions stratégiques propres en matière d’industrie de défense, d’exercices conjoints et de partenariats conjoints. Pourra ainsi émerger une organisation commune sur les nouveaux espaces de conflictualité que sont l’espace maritime, le spatial et le cyber.

Une politique commune de voisinage basée sur la « stabilité et la prospérité »

« Il n’y a pas d’Europe souveraine si nous ne décidons pas en Européens d’avoir notre propre stratégie, notre propre agenda, pour ce qui est notre voisinage. »

Deux espaces géographiques donneront lieu à des initiatives structurantes sous la PFUE : l’Afrique et les Balkans occidentaux :

L’Afrique : un Sommet entre dirigeants de l’Union africaine (UA) et de l’Union européenne sera organisé les 17 et 18 février 2022 à Bruxelles afin de « refonder » la relation entre UE et UA, notamment :
– via un « New Deal économique et financier » avec l’Afrique afin de contribuer au besoin de financement du continent.
– via le déploiement d’un agenda en matière d’éducation, de santé et de climat à la hauteur des enjeux de l’Afrique.

Sur l’éducation, il est prévu un partenariat commun dans le cadre du partenariat mondial pour l’éducation, avec un accent mis sur l’éducation des jeunes filles partout en Afrique, mais également sur la formation des enseignants et le développement des structures d’éducation.

Sur la santé, l’ambition est de développer un véritable agenda sanitaire visant le déploiement en Afrique de structures de production de vaccins et de production de systèmes de santé primaires.

Sur le climat, il s’agira d’accompagner la transition énergétique et climatique du continent africain à travers le financement d’infrastructures et de solutions énergétiques fortes, sur le modèle de « la Grande Muraille Verte ».

Les Balkans occidentaux : une conférence au mois de juin est prévue sur ce sujet. La France entend favoriser durant sa présidence une politique de réengagement et d’investissements, afin de favoriser l’intégration économique de cette région, y développer les échanges humains, et permettre l’apaisement de la question des minorités, centrale dans cette région. Il s’agira aussi de permettre de « clarifier les perspectives européennes » de ces pays.

Un nouveau modèle européen de croissance

La France a l’ambition d’élaborer, dans le cadre du Sommet des chefs d’État et de Gouvernement du 10 et 11 mars 2021, une stratégie décennale visant à définir ce que sera l’Europe de 2030. Le président en a esquissé les 4 piliers.

La capacité à produire et à être compétitif

L’objectif est de faire de l’Europe un grand continent de production, d’innovation et de création d’emplois, notamment via le développent de filières industrielles dans l’hydrogène, les batteries, l’espace, les semi-conducteurs, le cloud, la défense, la santé, la culture et les industries culturelles et créatives. Dans cette perspective, seront présentés, d’ici le mois de mars, une série de plans d’investissements européens et d’alliances industrielles nouvelles.

Un tel modèle de croissance et d’investissement suppose, selon la France, une révision des règles budgétaires issues du traité de Maastricht, afin que celles-ci rendent possible de donner la priorité aux investissements nécessaires pour accompagner les transitions, en particulier climatique et numérique. Les investissements que ces politiques nécessitent supposent également de repenser le cadre financier de l’UE notamment en parachevant une Europe bancaire et une Europe des marchés de capitaux.

Concilier développement économique et ambition climatique

La France ambitionne de faire avancer le paquet climat européen présenté par la Commission en juillet 2021, composé de treize propositions législatives visant, dans la perspective d’une neutralité carbone de l’UE, à atteindre l’objectif Fit for 55 : -55% d’émissions carbone dans l’UE en 2030.

La France espère notamment un accord au Conseil sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières5 (dit « taxe carbone » ou MACF), qui vise à lutter contre les fuites de carbone en appliquant aux importations une tarification équivalente à celle qui existe sur le marché européen du carbone, afin de concilier compétitivité industrielle avec ambition climatique.

La France souhaite également la « mise en cohérence » de l’agenda commercial européen avec l’agenda climatique, en poussant pour l’instauration des clauses miroirs et d’exigences environnementales et sociales dans les accords commerciaux de l’UE.

Enfin, la PFUE souhaite faire avancer les négociations sur la mise en place d’un instrument européen de lutte contre la déforestation importée qui visera à interdire l’importation dans l’UE de soja, bœuf, huile de palme, bois, cacao, café quand ils contribuent à la déforestation.

Faire de l’Europe une puissance du numérique

La France ambitionne de favoriser l’émergence de champions du numérique sur le continent, notamment par la mise en place de fonds européens de financement de startups, sur le modèle des fonds dit « Tibi »6 existant en France. Elle souhaite également que soit créé un marché intégré du numérique, notamment en supprimant les barrières en la matière entre les 27.

La France entend également permettre l’approfondissement de la réglementation européenne dans le domaine du numérique, à la suite de l’exemple qu’a constitué l’adoption de la réglementation européenne pour la protection des données individuelles. Dans cette perspective, elle supervisera lors de la PFUE l’adoption du texte européen de transposition de l’accord international obtenu au niveau de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) sur la taxation des multinationales, et en particulier des géants du numérique.

Enfin, la France érige en priorité la recherche d’un accord sur l’acte pour le marché numérique ou Digital Markets Act (DMA)7 et sur l’acte pour les services numériques ou Digital Services Act (DSA)8.

Créer des emplois de qualité, qualifiés et mieux rémunérés

« Ce qui doit distinguer le modèle de production européen des autres, c’est notre capacité collective à proposer aux travailleurs des emplois de qualité, qualifiés et mieux rémunérés. »

La France espère notamment faire aboutir la négociation sur la directive garantissant le droit à un salaire minimum9 adéquat à tous les travailleurs de l’Union européenne.

La PFUE entend également agir pour l’égalité entre les femmes et les hommes avec la directive sur la transparence salariale10, qui vise à mettre fin aux écarts de salaires entre les femmes et les hommes, et avec la finalisation textes européens sur les quotas11 dans le cadre des conseils d’administration.

La France a également évoqué son souhait de faire avancer les négociations en vue de l’instauration d’un devoir de vigilance des entreprises à l’échelle européenne, afin que leurs standards respectent les droits de l’homme et de l’environnement sur l’ensemble des chaînes de valeur qu’elles contrôlent, y compris avec leurs partenaires.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe

La France conclura au mois de mai la Conférence sur l’avenir de l’Europe, initiée à la suite d’une proposition de sa part en 2019.

Le président de la République a précisé qu’il ne s’agissait pas d’obtenir des conclusions ficelées, mais plutôt d’essayer de rebâtir un élan fondateur, afin de faire émerger une Europe qui se redonne quelques ambitions simples, qui soit plus démocratique et sache mieux associer les citoyens mais sache aussi faire œuvre de simplification de ses règles. Cet élan serait même susceptible de conduire à une refondation des traités européens.

La réaffirmation des valeurs européennes

La France entend initier, lors de sa présidence, l’élaboration de nouveaux instruments, visant à faire vivre les libertés et valeurs démocratiques européennes, notamment avec la mise en place d’un fonds de soutien européen au journalisme indépendant et d’investigation.

La France souhaite également étendre la liste des infractions européennes aux crimes et discours de haine, en contribuant à doter l’UE d’une stratégie de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ainsi que d’une législation sur la lutte contre les violences faites aux femmes.

Une Europe de la culture

« Quand on considère que l’Europe est un acquis, on ne se bat plus pour elle. (…) Donc, ce combat est aussi existentiel que celui pour la souveraineté et pour le modèle de croissance que j’évoquais.  »

La France souhaite lancer un grand travail historiographique sur l’Europe, afin notamment de lutter contre la propagation du révisionnisme. Ce travail serait effectué par un comité indépendant dont les résultats seraient présentés au mois de juin prochain. Sur la base de ce travail, il faudra considérer les déclinaisons possibles dans chaque pays européen.

En parallèle sera également organisée une réunion, au mois de juin, des 40 universités européennes créées à la suite du discours de la Sorbonne de 2017. La PFUE ambitionne également la création d’une Académie d’Europe qui réunira des intellectuels de toutes disciplines des 27 États membres pour éclairer les débats éthiques, le rapport aux libertés et proposer des actions et projets culturels.

La France souhaite aussi prendre « plusieurs initiatives culturelles fortes » durant la PFUE, avec le déploiement de Micro-Folies et des initiatives pour développer l’accès à des opéras, des musées ou encore des œuvres d’art à travers des organisations virtuelles.

Enfin, à la suite de la généralisation des échanges étudiants permis par le programme Erasmus +, pour lequel la France avait poussé en 2017, la PFUE entend permettre la mise en place d’un service civique européen de 6 mois ouvert à tous les jeunes de moins de 25 ans pour un échange universitaire ou d’apprentissage, un stage ou une action associative.