Tout le monde en parle. La Première ministre Élisabeth Borne a activé l’article 49 alinéa 3 de la Constitution à plusieurs reprises pour le vote sur les différentes partie du budget 2023. Sur la première partie du projet de loi de finances pour 2023 ; puis sur le volet « recettes » du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Alors, de quoi s’agit-il vraiment ? on fait le point.
Un usage répandu sous la Ve République
Depuis 1958, l’article 49-3 a été déclenché à 89 reprises : 33 fois par un chef de gouvernement de droite et 56 fois par la gauche. Le record absolu revient à Michel Rocard, qui a engagé la responsabilité de son gouvernement à 28 reprises. Au total, l’opposition n’a répliqué que 47 fois par une motion de censure, mais aucune procédure n’a jamais abouti à un rejet du gouvernement après un 49.3 depuis 1958.
Plus de 100 motions de censure ont été déposées depuis 1958. Georges Pompidou (1962-1968), Raymond Barre (1976-1981) et Pierre Mauroy (1981-1984) sont les ministres qui en ont affronté le plus, avec sept motions de censure spontanées déposées sous leur mandature.
Hors 49.3, une seule motion de censure a été adoptée sous la Ve République en 1962. Une motion de censure des opposants au projet d’élection du président de la République au suffrage universel a été déposée par le centre, les socialistes et la droite non gaulliste. Elle est adoptée le 5 octobre par 280 députés sur 480.
Le 49-3, un article de notre Constitution depuis 1958
« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. » Alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution.
Concrètement, l’article 49-3 de la Constitution donne la possibilité à un Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote :
- d’un projet de loi de finances ;
- d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale ;
- d’un autre projet ou une proposition de loi en débat à l’Assemblée nationale.
Lorsque la Première ministre décide d’y recourir, sa décision entraîne la suspension immédiate de la discussion du projet de loi. Le texte est considéré comme adopté, sans être soumis au vote, sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures qui suivent. Dans le cas présent le Rassemblement national ainsi que la NUPES ont déposé deux motions de censure distinctes – examinées à l’Assemblée le lundi 24 octobre à 16 heures. Ces deux motions de censure n’ont pas été adoptées.
La motion de censure doit être votée selon des conditions très précises : seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Si la motion de censure est adoptée, le texte est rejeté et le Gouvernement est renversé.
« L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire. » Alinéa 2 de l’article 49 de la Constitution.
A l’inverse, si aucune motion de censure n’est déposée, ou si la motion n’obtient pas la majorité absolue, la loi est adoptée en première lecture et poursuit son processus législatif au Sénat. Elle revient ensuite à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture, lors de laquelle le gouvernement peut de nouveau activer le 49-3 s’il le souhaite, dans les mêmes conditions.
Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, hors projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, l’article 49-3 ne peut être utilisé que sur un seul texte au cours d’une même session parlementaire. Avant cette révision de la Constitution, le gouvernement pouvait y avoir recours aussi souvent qu’il le voulait et sur n’importe quel texte.
Pourquoi y avait-il urgence concernant le Budget 2023 ?
Chaque année, le projet de loi de finances propose l’ensemble des recettes et dépenses de l’État pour l’année suivante. Il détermine ainsi le budget, c’est à dire la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges selon un équilibre économique et financier déterminé.
L’examen du budget commence juste après l’adoption du projet de loi de finances en conseil des ministres. Le projet de loi est débattu par le Parlement, examiné par le Conseil constitutionnel et promulgué en dernière étape par le Président de la République.
Calendrier des débats et vote
Un calendrier contraignant, avec une date limite, qui justifie le retour au 49-3 pour s’assurer que le budget 2023 soit bien voté.
- Octobre-décembre : le projet de loi est déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre. L’Assemblée nationale a 40 jours, une fois saisie, pour adopter le texte en première lecture. Le texte, tel qu’adopté, est ensuite transmis en première lecture au Sénat – selon l’article 42 de la Constitution.Si à l’issue de ce délai le texte n’est pas adopté par l’Assemblée nationale, le Gouvernement transmet au Sénat le texte initial du projet de loi, modifié le cas échéant par les amendements votés par les députés et acceptés par lui.Dans cette dernière hypothèse, le Sénat dispose de 15 jours pour discuter et adopter le texte, mais de 20 jours si la procédure suit son déroulement normal.Si à l’expiration du délai le Sénat n’a pas adopté le texte, le Gouvernement saisit à nouveau l’Assemblée du texte soumis au Sénat, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par le Gouvernement.Dans tous les cas de figure, le Parlement doit obligatoirement avoir adopté un texte au plus tard 70 jours après le dépôt du PLF sur le bureau de l’Assemblée nationale. Il n’y a pas de deuxième lecture, et l’urgence est de droit. À défaut, conformément à l’article 47 de la Constitution, la LOLF autorise le Gouvernement à mettre le PLF en œuvre par voie d’ordonnance.
- Fin décembre : le Conseil constitutionnel peut être saisi pour examiner la constitutionnalité du projet de loi. Enfin, la loi de finances est promulguée par le Président de la République et publiée au Journal officiel, au plus tard le 31 décembre.
Face au blocage des oppositions, le 49-3 vise à assurer le vote d’un budget pour l’Etat
Le 49-3 ne fait pas « table rase » des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale. Il permet de garantir que le texte soit voté dans les temps pour donner un budget à notre pays.
Cette année, les débats ont été plus longs que lors de l’examen du dernier budget, avec 55 heures de débats contre 37 heures l’année précédente. Ainsi, au sixième jour des débats, tout indiquait que nous ne tiendrions pas les délais contraints.
En outre, les oppositions avaient toutes déjà affirmées leur volonté de rejeter le texte. Dès le mois de juillet, elles ont déclaré qu’elles ne voteraient pas le budget, même amendé. Elles en ont fait une question de principe, et de posture. Aucun compromis n’était possible. Les oppositions se sont elles-mêmes mises dans une situation de blocage.
Nous étions donc arrivés au terme du temps permis par la Constitution. Le 49-3 s’imposait.
Dans le texte retenu, après le 49-3, de nombreux amendement ont été conservés (près de 100 amendements), y compris des amendements des oppositions.
- Parmi les amendements de la majorité retenus : la hausse du plafond du crédit d’impôt pour la garde d’enfants (de 2500 euros à 3500 euros – Renaissance), la prolongation du DEFI Forêt (Renaissance), le relèvement du plafond de l’IS PME de 38 000 euros à 42 500 euros (MoDem), le filet de sécurité pour les collectivités (Horizons), l’indexation et la prorogation de la DEP pour les agriculteurs (Renaissance/MoDem/Horizons), création d’un « loto de la biodiversité » (amendement « Renaissance », Zulesi).
- Parmi les amendements de l’opposition que nous avons souhaité conserver : la revalorisation des tickets-restaurant (« LR »), l’amélioration du contrôle du crédit d’impôt « service à la personne » (« SOC») ou encore la légalisation de l’huile de friture utilisée comme carburant (« EELV»).
Notre majorité a, notamment, défendu et obtenu les avancées suivantes :
- Le pouvoir d’achat des Français préservé : prolongation du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité ; baisse de 6,2 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu ; augmentation à 13 euros de la valeur du ticket-restaurant.
- Nos entreprises renforcées : suppression en deux ans de la CVAE ; élargissement de l’impôt sur les sociétés à taux réduit pour les PME ; prolongation jusqu’en 2025 du dispositif « Jeune entreprise innovante », baisse des charges pour l’actionnariat salarié.
- Nos collectivités locales soutenues : hausse de 320 millions d’euros de la dotation globale de fonctionnement ; création du filet de sécurité énergie pour les communes, départements et régions.
- Les familles accompagnées : relèvement à 3 500€ par an du plafond de dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt pour la garde d’enfant à domicile ; création d’une demi-part fiscale pour les veuves d’anciens combattants ; suppression du coût des frais d’acte de reconnaissance de filiation dans le cadre d’une PMA (125€).
- Nos agriculteurs protégés : protection des agriculteurs et viticulteurs face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents par l’augmentation de leur plafond d’épargne ; réduction à 5,5% du taux de TVA sur l’alimentation animale ; facilitation des transmissions de foncier agricole.
- Plus de justice fiscale : création d’une contribution exceptionnelle des énergéticiens au niveau européen.